PHARE – CAROLINE DERVEAUX, 2022
TRIBUNE LOTFI AOULAD | SEPTEMBRE 2025
Bien-être et bien-naître : pour une maïeutique culturelle
La Maternité des Lilas fermera bientôt ses portes. Ce ne sont pas seulement des lumières qui s’éteignent, c’est une histoire de vies humaines qui vacille. Celle qui depuis soixante et un ans, soit plus de 22 000 jours, a porté une autre manière de soigner et d’accueillir la vie, dans l’écoute et le consentement.
Je ressens une tristesse profonde face à cette fermeture, mêlée à une joie immense d’avoir pu faire partie de son Histoire et de sa communauté. Parce qu’un jour, j’y poussais des cris avec une mère en plein travail dans la salle de naissance tamisée. J’ai aussi dansé une rumba cubaine pour rythmer une dilatation. J’ai préparé un sandwich sur le pouce à un père qui doutais. J’ai vu des sages-femmes poser leurs mains sur les corps seulement après avoir demandé, des sourires sur des visages épuisés, le premier regard échangé entre les parents et l’enfant. Je n’avais jamais prévu d’être doula. Et pourtant, quelque chose est né en moi. Mon premier accouchement a été une traversée. Il a réparé l’enfant que j’étais, en devenant l’homme que je veux être : un homme tourné vers la vie, et qui veille à ce qu’elle advienne dans la douceur et le respect. Ce jour-là, je suis devenu adulte. C’est aussi à ce moment-là que j’ai compris combien il était essentiel de faire dialoguer le monde de la naissance et celui de la création artistique. Car si la maternité ferme, ses enseignements, eux, demeurent. Ce lien entre bien-naître et bien-être, c’est ma façon de prolonger l’histoire des Lilas, d’y inscrire la mienne, ailleurs et autrement.
Des salles de naissance aux scènes culturelles
Nous avons encore trop souvent cette image de l’artiste solitaire, en proie à ses doutes contraint de créer dans la douleur. Pourtant, comme l’accouchement, la création d’une œuvre ou d’un projet culturel n’est pas un acte isolé. J’ai accompagné plusieurs accouchements. J’ai observé des équipes profondément inspirantes, capables d’allier écoute, humanité et organisation dans un cadre bienveillant. Chaque naissance est envisagée comme un processus singulier, où l’on respecte les rythmes, les besoins, les désirs. Dans les salles d’accouchement, chaque personne, médecin, sage-femme, doula, infirmier·ère, partenaire, famille, amis, joue un rôle précis, mais tous œuvrent ensemble pour accompagner la naissance dans les meilleures conditions possibles. Et si l’on pensait nos politiques culturelles à partir de ce modèle ? Comme une naissance, la création artistique demande du temps, de l’écoute et des ressources. Elle porte en elle l’histoire de celui ou celle qui la conçoit. En tant que doula, je mène des entretiens prénatals avec les parents : on y parle de peurs, de désirs, de projections, de ce qu’ils souhaitent vivre. Ces échanges aboutissent à un plan de naissance, une manière de se préparer ensemble. Pourquoi ne pas imaginer des plans de création, co construits avec les artistes, à partir de leurs réalités et pas seulement de leurs résultats attendus ?
Après la création, le soin
La période qui suit une création est souvent déroutante. Un vide peut survenir, une période de flottement et d’inconnu, un épuisement aussi. C’est là que le soin doit continuer. Accompagner ne s’arrête pas au moment où l’œuvre est "mise au monde". Le Cercle de l’Art, fondé par Margaux Derhy, en est un exemple inspirant : un collectif de femmes artistes qui accompagnent ensemble le développement de leurs trajectoires et développent des outils pour vivre avec leur art. C’est notamment lors d’une exposition du Cercle que j’ai découvert Le Phare, œuvre bouleversante de Caroline Derveaux, née de sa propre expérience de la naissance a la Maternité des Lilas ! Une création qui témoigne, qui répare, qui éclaire. C’est ça la magie des rencontres.
Vers une maïeutique culturelle
Avec le soutien des Ateliers Médicis, Das Relais invite à développer une vision nouvelle de l’accompagnement artistique. Il ne s’agit pas seulement de produire, d’exposer, de performer. Il s’agit de créer dans un cadre vivant, soutenant, attentif. Nous voulons proposer des espaces de réflexion, de croisement des disciplines, de gestation d’idées, des outils de transmission, pour penser autrement, dans une logique de bien être et de transformation collective. Parce qu’une œuvre ne vient jamais seule au monde. Elle s’inscrit dans une communauté, elle en émerge, elle s’y inscrit. Dans un monde culturel de plus en plus précarisé, accéléré, concurrentiel, il est urgent de réaffirmer cette conviction simple : créer, c’est donner vie. Et cela mérite du soin. Alors oui, mettons au service de la culture ce que les salles de naissance ont de plus précieux à nous transmettre : l’écoute, la patience, le respect du rythme, et le collectif. En prolongeant l’héritage des Lilas, nous ne préservons pas seulement un héritage, nous préparons un avenir où le bien-naître inspire le bien-être. Et où la création, pleinement vivante, retrouve tout son souffle.
LOTFI AOULAD
LA MATERNITE DES LILAS
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À PROPOS DE LOTFI AOULAD
D’abord avocat, puis conseiller en politiques publiques, son parcours est traversé par une volonté d’habiter différents mondes : de la banlieue de Saint-Denis aux institutions internationales, en passant par des communautés autogérées en milieu rural, ainsi que par les milieux hospitaliers et carcéraux. En 2024, il est certifié doula pour l’accompagnement à la naissance, après une formation d'un an à la Maternité des Lilas. Il est membre du CA de l’association Rêv'Elles. Il a également été codirecteur de la Revue de littérature méditerranéenne Nejma et soutient plusieurs initiatives dans le secteur des arts et de la mode. Il est membre du comité d'expert pour le Prix de la Mode du Monde Arabe.
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Je ressens une tristesse profonde face à cette fermeture, mêlée à une joie immense d’avoir pu faire partie de son Histoire et de sa communauté. Parce qu’un jour, j’y poussais des cris avec une mère en plein travail dans la salle de naissance tamisée. J’ai aussi dansé une rumba cubaine pour rythmer une dilatation. J’ai préparé un sandwich sur le pouce à un père qui doutais. J’ai vu des sages-femmes poser leurs mains sur les corps seulement après avoir demandé, des sourires sur des visages épuisés, le premier regard échangé entre les parents et l’enfant. Je n’avais jamais prévu d’être doula. Et pourtant, quelque chose est né en moi. Mon premier accouchement a été une traversée. Il a réparé l’enfant que j’étais, en devenant l’homme que je veux être : un homme tourné vers la vie, et qui veille à ce qu’elle advienne dans la douceur et le respect. Ce jour-là, je suis devenu adulte. C’est aussi à ce moment-là que j’ai compris combien il était essentiel de faire dialoguer le monde de la naissance et celui de la création artistique. Car si la maternité ferme, ses enseignements, eux, demeurent. Ce lien entre bien-naître et bien-être, c’est ma façon de prolonger l’histoire des Lilas, d’y inscrire la mienne, ailleurs et autrement.
Des salles de naissance aux scènes culturelles
Nous avons encore trop souvent cette image de l’artiste solitaire, en proie à ses doutes contraint de créer dans la douleur. Pourtant, comme l’accouchement, la création d’une œuvre ou d’un projet culturel n’est pas un acte isolé. J’ai accompagné plusieurs accouchements. J’ai observé des équipes profondément inspirantes, capables d’allier écoute, humanité et organisation dans un cadre bienveillant. Chaque naissance est envisagée comme un processus singulier, où l’on respecte les rythmes, les besoins, les désirs. Dans les salles d’accouchement, chaque personne, médecin, sage-femme, doula, infirmier·ère, partenaire, famille, amis, joue un rôle précis, mais tous œuvrent ensemble pour accompagner la naissance dans les meilleures conditions possibles. Et si l’on pensait nos politiques culturelles à partir de ce modèle ? Comme une naissance, la création artistique demande du temps, de l’écoute et des ressources. Elle porte en elle l’histoire de celui ou celle qui la conçoit. En tant que doula, je mène des entretiens prénatals avec les parents : on y parle de peurs, de désirs, de projections, de ce qu’ils souhaitent vivre. Ces échanges aboutissent à un plan de naissance, une manière de se préparer ensemble. Pourquoi ne pas imaginer des plans de création, co construits avec les artistes, à partir de leurs réalités et pas seulement de leurs résultats attendus ?
Après la création, le soin
La période qui suit une création est souvent déroutante. Un vide peut survenir, une période de flottement et d’inconnu, un épuisement aussi. C’est là que le soin doit continuer. Accompagner ne s’arrête pas au moment où l’œuvre est "mise au monde". Le Cercle de l’Art, fondé par Margaux Derhy, en est un exemple inspirant : un collectif de femmes artistes qui accompagnent ensemble le développement de leurs trajectoires et développent des outils pour vivre avec leur art. C’est notamment lors d’une exposition du Cercle que j’ai découvert Le Phare, œuvre bouleversante de Caroline Derveaux, née de sa propre expérience de la naissance a la Maternité des Lilas ! Une création qui témoigne, qui répare, qui éclaire. C’est ça la magie des rencontres.
Vers une maïeutique culturelle
Avec le soutien des Ateliers Médicis, Das Relais invite à développer une vision nouvelle de l’accompagnement artistique. Il ne s’agit pas seulement de produire, d’exposer, de performer. Il s’agit de créer dans un cadre vivant, soutenant, attentif. Nous voulons proposer des espaces de réflexion, de croisement des disciplines, de gestation d’idées, des outils de transmission, pour penser autrement, dans une logique de bien être et de transformation collective. Parce qu’une œuvre ne vient jamais seule au monde. Elle s’inscrit dans une communauté, elle en émerge, elle s’y inscrit. Dans un monde culturel de plus en plus précarisé, accéléré, concurrentiel, il est urgent de réaffirmer cette conviction simple : créer, c’est donner vie. Et cela mérite du soin. Alors oui, mettons au service de la culture ce que les salles de naissance ont de plus précieux à nous transmettre : l’écoute, la patience, le respect du rythme, et le collectif. En prolongeant l’héritage des Lilas, nous ne préservons pas seulement un héritage, nous préparons un avenir où le bien-naître inspire le bien-être. Et où la création, pleinement vivante, retrouve tout son souffle.
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